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Par Isabelle Escapade le 13 Juillet 2014 à 13:33
Après avoir passé une petite rivière toute proprette qui semble là comme un bon paillasson où se rincer les pieds tout cagagnous, la marche se continue sur des rondins de bois et une rampe nous aide un peu à avancer. Là, on découvre enfin la Uma qui va devenir notre maison.
Après le soleil de dehors, j'ai bien du mal à distinguer quoi que ce soit dans cette maison bien sombre. J'entend qu'il y a du monde mais pas facile de voir plus loin que les quelques premiers mètres devant moi. Nos deux guides et mon Mistoulin ont disparu à l'intérieur, avec mes mauvais yeux, j'y vois nibe de nibe là-dedans. Je distingue une première dame à qui je tends la main en saluant par ALOITA puis je fais le tour de de cette pièce carrée cernée par un banc où tout le monde semble avoir pris siège.
Le premier contact n'est franchement pas sympathique... on a comme qui dirait l'impression d'arriver comme un cheveu sur la soupe, mes Bonjour n'ont pas l'air de les intéresser du tout, tout ce qu'ils me demandent ce sont des cigarettes et des bonbons ! Comme je vois plus aucun des deux guides, je me baragouine dans ma barbe en gardant un sourire figé que j'ai pas fait tous ces kilomètres, marché dans la boue, suer ma mère pour même pas un bonjour ! Non mais 'faut pas pousser mémé dans les orties !! C'est quoi ces gens !?
Boudie, là, 'faut pas me chercher ! Et où qu'il est le guide !? 'Pourrait pas un peu venir me présenter, me dire ce qu'il faut faire, j'ai pas l'air couillon avec mon pantalon tout mouillé et mes Aloita qui se ramassent des blancs tout plats tout du long ! Au fur et à mesure que je tourne autour de ce grand carré, j'y vois un peu plus clair, des cranes de partout me rendent mes Aloita !! Comme sur Sulawesi où les cornes de bœufs nous souhaitaient la bienvenue...
J’aperçois enfin les deux guides et mon Mistoulin tout au fond, je te choppe le guide pour qu'il m'explique un peu ce qu'on attend de moi parce que mémère elle veut bien faire mais 'faut un minimum de mode d'emploi dans l'affaire ! Zou, le voilà qui me donne les explications utiles, c'est pas trop tôt ! La cartouche de cigarettes on se la garde et on donne une cigarette par une cigarette à tous ceux qui demandent ; pour les bonbons c'est pareil ! Bé voilà, c'était pas compliqué, 'fallait juste me briefer ! Je prends un paquet que je me mets dans ma poche et je refais un tour de manège à'que les cigarettes en cadeau. Là, de suite, je deviens plus interessante ! Sur une natte à même le sol, on m'a déjà préparé un café, j'en aurais bien besoin mais quand on me dit que le pipi-caca c'est dans la rivière qu'on a traversé en arrivant... je me dis que coté café, 'va falloir que je freine un peu si je veux pas faire Rika Zaraï de longue ! Pendant ma dégustation à très petites gorgées, j'observe deux hommes en pagne, les seuls d'ailleurs, tous les jeunes sont habillés comme nous, en short et tee-shirt, les femmes aussi...
Nous au centre de la pièce et tous les autres autour... la franche vérité, y'a pas plus inconfortable comme situation ! Et puis je me dis que la voyeuse dans l'affaire... c'est moi ! C'est moi qui ai fait tous ces kilomètres pour les voir... alors c'est normal qu'ils m'observent aussi un peu ! Et c'est pas à eux de faire l'effort de venir vers moi car de moi, ils s'en moquent royal ! Zou ! C'est parti, je m'attaque aux femmes !
Il y en a trois, je ne retiens qu'un prénom Maria... le plus mémorisable pour moi. Elles me parlent en Mentawaï, je réponds en Anglais, on ne se comprend pas du tout mais c'est pas grave, elles me touchent, je les touche, on se sourit, elles me montrent le Mistoulin collé aux guides là-bas tout au fond de la Uma. Baby, big Baby, on éclate de rire. Je comprends qu'elles me demandent où qu'il est mon mari, j'explique que j'en ai plus, Maria me fait de grands signes, elle est comme moi. Je comprends qu'elle me demande si j'aime les hommes et si j'en veux un autre ! Boudie que je lui fais dans ma langue, pour les aimer je les aime mais 'risque pas que je m'en reprenne un autre ! Rrrien qu'avec mon ton chantant du Sud, elle a compris qu'on était au même point d'analyse de la vie de couple toutes les deux. De suite, elle se rapproche de moi, je sens qu'on va devenir copine.
Ce sont les femmes qui m'expliquent qui est qui dans ce grand pataquès familial. Ici c'est la maison de Coukie et de sa femme mais Coukie est dans la jungle et sa femme est malade, couchée tout au fond de la uma, de la famille il n'y a que le petit fils, tous les autres sont des voisins. C'est la coutume quand des étrangers arrivent, tout le monde rapplique dans la maison qui reçoit et on mange tous ensemble. Eh bé ! J'ai pas fini de m'emêler les pinceaux avec tous ces prénoms impossibles à retenir !!! Que je me dis en gardant mon sourire figé qui les intrigue beaucoup. Peuchère, elles n'ont presque plus de dents et les miennes ont un effet Pepsi Dents que c'est rrrien de le dire ! Comme il y a une mamet malade à l'oustau, je me rends à son chevet sans demander la permission... m'en fouti !
Elle est en effet en piteux état, toute maigre avec des yeux d'aveugle... Elle me prend les mains et me demande des bonbons. Je lui donne une sucette, deux qu'elle me fait ! Zou, deux sucettes ! Elle est trop contente et me raconte tout plein de trucs que je comprends rrrien mais qui lui font du bien... C'est à ce moment là que le chef Cookie arrive. Ne me demandez pas pourquoi mais cet homme là, d'entrée, i'me fait un effet bœuf... J'ai comme l'impression d'être devant le dernier des Mentawaï, un vestige vivant d'une culture vouée à... disparaître... ? Le collègue Jack Lang dirait "Quel bel homme"... c'est plus qu'un bel homme, c'est une icone vivante...
La maison se vide, se remplit, se re-vide. Après le thé et le café, Saroul entre enfin dans son rôle de guide. Il m'explique la maison, sa construction sur pilotis, les esprits du monde sauvage tournés vers l'extérieurs, ceux du monde domestique tournés vers l'intérieur, l'importance du Sagou pour les Mentawaï... je bois ses paroles tout en déplorant la passivité de mon Mistoulin. Il ne comprend pas ce qu'on est venu faire ici... je le vois dans ses yeux, dans son attitude... J'espère qu'un jour il réalisera la chance qu'il a de vivre ces instants précieux...
Après le déjeuner préparé par nos guides et pris séparément de tous les autres, on se retrouve à nouveau dans la jungle et dans la boue ! C'est parti pour la découverte de cet arbre, le Sagou... Je vois pas du tout à quoi ça ressemble mais quand enfin je l'identifie, je m'aperçois qu'il y en a partout autour de nous ! La jungle d'ici est cafi de Sagou et je comprends que celui-ci soit la base alimentaire de toute cette petite société ! Un jeune Mentawaï en coupe un en trois quatre coups de machette, le tronc est finalement très tendre.
Saroul m'explique que tout le monde dans la Uma mange le sagou ! Les Hommes, les poules, les cochons, les chiens, les chats,... mais ce qu'il y a de meilleur dans le Sagou, ce sont de grosses larves jaunes qui l'habitent ! Les Mentawaï les adorent ! C'est donc parti pour la chasse à ces drôles de larves bien grasses... en faisant attention de pas mettre les mains sur autre chose ! ça grouille de vie par ici !
Saroul nous les mange toutes crues... j'avoue qu'après le café et le déjeuner... ça le fait franchement pas !
Je réponds que cuites peut-être mais que... non, merci ! Bababaou ! Qu'est-ce-que j'avais pas dit ! En moins de trois minutes un feu est déjà allumé, les larves mises en brochettes et grillées ! Boudie, y'a des fois où je devrais fermer ma grande bouche que je me pense toute coincée alors que mon Mistoulin décide de tester la chose !
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***
Rentrés à l'oustau, on retrouve notre petite rivière, on nous y laisse tranquilles... peut-être que les guides ont compris qu'après tant de cafés, j'avais peut-être besoin d'un petit arrêt pipi. Avec le minot, on part dans une crise de fou-rires en s'imaginant dans la nuit ce soir à se brosser les dents, se laver et faire nos besoins à la torche ! ça va être folklo me dit le minot... Ti'es complètement folle, tu sais !? Voui, je sais ! T'arrêtes pas de me le répéter !
De la Uma on entend un drôle de bruit, comme un gong... Saroul nous explique en rentrant que tous les soirs, les umas tapent sur un bout de bois pour rappeler les cochons qui se baladent dans la jungle...
A la question, quel est le plus dangereux prédateur pour eux... le python... Super me dit le minot, on va aller pisser dans la rivière au milieu des cochons sous la menace du python géant ! Bagus, ce qui veut dire Super en Indonésien !
Comme toujours, la nuit tombe vite ici, je commence à préparer notre équipement pour la nuit. J'ai du mal à croire que toutes nos affaires tiennent dans nos bébé-sacs...
Si le repas de midi, s'est passé séparément, les invités d'un côté, la famille et les voisins de Cookie de l'autre, le dîner se passe tous ensemble et la franche vérité je me préfère ça... Y'a des coutumes qui sont quand même bizarres !
Ce soir c'est Bambang qui fait la cuisine et on se casse le ventre avec des plats tout bien épicés comme on aime. Cooki aussi apprécie, il est tout joyeux. Après manger, on va soigner sa femme avec une mixture qu'il a préparé. Il lui masse doucement le ventre, c'est beau et à la fois triste de voir ces deux vieux... comme des rescapés du temps qui file...
Comme on n'a pas beaucoup dormi sur le ferry, l'extinction des feux est rapide. A la rivière, ça loupe pas ! On se reprend d'un fou-rire pas possible avec la torche sur nos rondins puis les pieds dans l'eau... mais qu'est-ce-qu'on est venus faire dans cette galère !?
En se couchant sur une toute petite natte d'à peine 3 centimètres d'épaisseur, sans oreillers... le minot me déclare sur un ton solennel...
Maman, la jungle, c'est la dernière fois !
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