-
Par Isabelle Escapade le 13 Juillet 2014 à 16:45
Bababaou ! Je vous dis pas le réveil coincé de mémère !! Sans oreiller, c'est pas le pied quand on a le cou fragile ! Zou, dès le pied posé par terre, un petit Ubiprophène, histoire de tenir le choc de la journée ! Dès le café avalé, on nous fait comprendre qu'aujourd'hui, c'est pas une journée chômée ! Au travail les Mistoulin ! Pour moi, c'est confection d'un costume pour aller pécher ! Voui, 'faut un costume spécial, 'parait que les poissons i'z'aiment bien les franges qui pendouillent dans l'eau ! Alors s'ils aiment, on s'y donne à cœur joie et en plus j'adore ça, travailler de mes mains !
C'est Maria qui m'accompagne, Bagus que je fais à Cooky ! Maria, c'est ma copine !
On part ainsi avec notre tutu-panpan autour de la taille, Maria façon Mentawaï, moi restant un peu pudique quand même... Mais entre vous et moi, si j'étais restée une semaine de plus... je levais le haut ! 'Fait trop chaud dans cette jungle !!!
Le but du jeu, passer sa main dans la vase, ramasser des crevettes et rabattre le poisson dans le filet. ça a l'air galette comme ça mais je peux vous dire que moi, même pas je réussis à mettre la main dans la vase... d'ici que le python géant i'm'avale la main... La franche vérité, 'suis pas tranquille...
En plus, Maria, elle fait pas qu'envoyer les mains ! Elle envoie tout son corps sous les racines... Tout ça pour quelques crevettes et quelques poissons... Pour nourrir une famille entière, il faut en faire, c'est moi qui vous le dis ! Tous les essais ne sont pas fructueux et la pêche du jour rentre dans le long tube en bambou qu'elle tient entre son dos et son pagne...
La franche vérité... sur ce coup-là, j'ai pas servi à grand chose ! Même pas une crevette que j'ai ramassée !!! Plus nulle que moi tu meurs mais on rigole bien et surtout j'ai pris le frais ! Trop bonne cette eau, elle rend la peau aussi douce qu'une peau de bébé.
***
***
Sur le chemin du retour, on croise Cooky, il vient de cueillir différentes plantes qui vont soigner Tétéou, sa femme. Il pile tout ça sur une pierre et dépose le tout dans une grande feuille.
Rentrées à l'oustau, se sont les hommes qui partent préparer du Sagou. Mon Mistoulin a l'air plus éveillé ce matin, peut-être que la douche à la rivière a fait son petit effet ! Toujours dans la boue, ils se rendent à une espèce de grosse machine toute manuelle.
On dépose le Sagou en morceau tout en haut, on tire de l'eau dans une espèce de seau, on piétine le tout a'que les pieds et le tout s'écoule dans un grand filet qui fait office de filtre. On récolte la pâte blanche du Sagou dans de gros sacs qu'on emporte ensuite en cuisine. Les femmes remplissent des tubes de bambous qu'elles mettent quelques minutes dans le feu, on craque le bambou et on se retrouve avec des tubes blancs à déguster... Déguster pour eux car pour nous, le goût... bé on le trouve pas ! C'est un truc qui n'a pas de goût... mais ça a l'air de leur réussir !
Rentrés à la Uma, c'est déjà l'heure du manger ! C'est fou mais on a l'impression qu'on fait plein de trucs tout en ne faisant pas grand chose... Ici, tout est réglé sans stress. Chacun sait ce qu'il a à faire et tout à l'air bien répétitif... Entre deux activités, un coup de café ou de thé, un coup de Durian, un coup de mangue, sans oublier la petite cigarette, et ça repart !
Saroul nous fait la cuisine a'qu'une sauce à base de noix de coco pimentée que ça sent trop bon ! Ici, les hommes font une cuisine à tomber par terre, pardon, dans la boue ! D'ici que je m'en ramène un en Provence... y'a pas loin les filles !!!
Le patriarche est content aujourd'hui et ça se voit. Il nous raconte des trucs, il rigole et c'est trop bon de l'avoir assis à côté de nous. Il ne comprend pas pourquoi nous n'aimons pas le Durian ! Pour lui, c'est une aberration ! S'il savait que dans nos pays, ça ne pousse même pas, il serait certainement surpris ! Le minot aussi commence à prendre ses aises, il fait la sieste avec tout le monde sans plus trop se poser la question de ce qu'on fait là !
Après le petit sieston bien mérité, Cooky entraîne le Mistoulin dans la jungle pour lui fabriquer cette ceinture qu'il porte à la taille et pour lui montrer comment on fabrique du poison dont on va enduire les flèches pour la chasse... C'est trop rigolo de les voir partir ensemble...
Le patriarche sait exactement où il va et quel arbre il lui faut, il connait sa forêt par cœur. En silence et avec minutie il coupe un petit tronc blanc, enlève l'écorce, tire la fibre et se met à la marteler recto-verso. Très vite la matière devient élastique, c'est surprenant !
***
***
Quand je vous dis que ces hommes là, il faut les protéger de la counasserie des autres Hommes ! Non seulement ils sont les gardiens de cette forêt primaire mais en plus ils en connaissent tous les secrets ! Et nous, les civilisés, on veut les faire rentrer dans un moule qui les fera mourir et nous perdrons toute la connaissance d'une Humanité qui ne sait plus qu'elle fait partie d'un grand tout dont elle n'est pas le centre ! Bababaou, si vous saviez comme la boufaillisse elle me monte grave quand je pense à ça !!!
Sur le chemin du retour il récolte encore des plantes qu'on voit pas la différence entre elles mais que lui, il a l’œil ! A l'oustau, il a tous les outils, simples et pratiques pour faire ce qu'il a à faire ! Il pile d'abord toute sa petite récolte puis la presse entre deux bâtons d'où un jus noir s'écoule. C'est le poison me fait le Mistoulin tout intrigué...
Avec lenteur, il enduit le bout de toutes ses flèches qu'il laisse sécher au soleil... c'est trop beau à voir...
Mais le temps se couvre et la pluie s'abat sur la forêt. C'est un déluge et on comprend à présent la boue qu'il y a de partout, la terre ne peut plus avaler toute cette eau qui tombe du ciel. Le vert devient plus vert, les fleurs s'ouvrent comme au soleil, c'est MA GNI FI QUE !
Les hommes se mettent alors à fabriquer des bracelets avec des espèces d'ajonc cueillis non loin de la rivière. Ils passent des heures à tresser tout en se parlant de tout et de rien... et surtout en fumant ! Je n'ai jamais vu des gens fumer autant !
L'eau tombe du toit dans de grandes gamelles, on la filtrera plus tard... Les cochons s'éclatent dans la boue... et le minot s'inquiète de notre départ demain dans une boue encore plus importante qu'à l'aller !
C'est déjà l'heure du dîner... on n'a encore pas vu le temps passer...
Cooky est très triste malgré la bonne ambiance qu'il règne entre nous à présent. Il comprend qu'on part demain et que sa maison va complètement se vider...
Il me raconte que souvent la nuit, il se lève, fait les cent pas et pleure sur le sort de son peuple... La franche vérité, ça me fend le coeur. Il me demande si je reviendrai... que dire !? Voui ! Si les esprits le veulent ! Mais nous savons très bien lui comme moi que nous ne nous reverrons plus sur cette Terre... Alors lui comme moi, on sourit devant l'appareil mais on a le cœur gros de tout plein de choses qu'on se garde pour soi...
19 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique